Dans un premier temps, il convient toujours d’observer attentivement ce qui est concrètement représenté : ici, trois hommes tirent une charrette portant l’inscription « Deutschbelgien », une désignation pour la Belgique germanophone utilisée surtout dans les années 1970 et 1980 par des partisans de l’autonomie. Les hommes portent sur leurs manteaux les noms des trois partis traditionnels des Cantons de l’Est : PFF (libéraux), PS (socialistes) et CSP (conservateurs). On y voit également des bâtiments délabrés ou des ruines ainsi qu’une bannière portant l’inscription « Soyez les bienvenus ».
Manifestement, la caricature date de 1982, comme l’indique un petit chiffre à côté des initiales du dessinateur. Pour pouvoir la situer, nous devons tenir compte du contexte historique. Au début des années 1980, la deuxième réforme de l’État belge était programmée et mise en œuvre. Après que la Belgique eut été divisée en communautés culturelles lors de la première réforme de l’État (1968-1971), le pays fut à présent divisé en régions. Ces régions étaient compétentes en matière de développement économique des différents territoires. La question de savoir à quoi devaient ressembler ces régions fut l’objet de longues discussions en Belgique et aussi dans les Cantons de l’Est.
Contrairement aux trois partis traditionnels de l’époque, le PDB prit clairement position contre une appartenance économique de la partie germanophone à la Wallonie. Le PDB était un parti qui s’engageait pour une autonomie de la Belgique germanophone sur un pied d’égalité avec la Flandre et la Wallonie. Comme la caricature a été réalisée par le PDB ou par l’un de ses partisans, elle illustre de manière très concise l’état d’esprit des partis germanophones et expose avant tout ses propres arguments :
Tout d’abord, l’image illustre le discours que le PDB a véhiculé vis-à-vis des autres partis. Les trois partis traditionnels pousseraient la Belgique germanophone à rejoindre la Wallonie. C’est ce que représente la bannière « Soyez les bienvenus », qui renvoie à la Wallonie francophone. Le dessinateur illustre ainsi la position du PDB : celui-ci craignait que la Belgique germanophone ne soit francisée et absorbée par la Wallonie si on ne protégeait pas suffisamment ce territoire.
Mais la stratégie économique du parti est également dévoilée : Les maisons vers lesquelles la charrette est tirée ne sont pas en bon état. Le dessinateur exprime ainsi de manière exagérée l’opinion du PDB. Le parti ne voulait pas faire partie de la Wallonie sur le plan économique, car il ne voulait pas participer au déclin économique de la région – qui est symbolisé par les ruines. Pour rappel, la région, autrefois prospère, était en crise depuis les années 1960, crise qui s’est encore intensifiée dans les années 1970 et 1980. Le PDB craignait que cette faiblesse structurelle de l’économie ne se transmette à la Belgique germanophone en cas de rattachement à la Wallonie. De plus, on argumentait que la culture et l’économie étaient indissociables. Ce n’est pas sans raison que l’on parle par exemple de ‘culture d’entreprise’. Le parti aspirait donc à une région propre à la Belgique germanophone ou à un lien économique plus fort avec la Rhénanie.
Finalement, la Belgique germanophone fut intégrée à la Région wallonne lors de la deuxième réforme de l’État. Depuis lors, il existe trois régions en Belgique : la Wallonie, la Flandre et Bruxelles. Depuis 1999, tous les partis de la Communauté germanophone (à l’exception de Vivant) aspirent à une séparation économique de la Région wallonne et à la création d’une quatrième région.