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L’histoire en images

Le retour des fils perdus

7.09.2022
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À première vue, cette photo semble être une photo de famille ordinaire. Elle a été prise le dimanche 3 mars 1946 à Faymonville. Le 23 février, Karl, le dernier fils de la famille Chavet, était rentré à la maison. Comme de nombreux soldats des Cantons de l’Est rentrant de captivité, il avait lui aussi été arrêté et incarcéré à Verviers.

Le 3 mars était donc un jour de réjouissances. Le grand-père avait invité toute la famille à cette fête particulière. Certes, le village natal des Chavet avait été en grande partie détruit par l’offensive des Ardennes, mais tous les fils et les membres de la famille avaient survécu à la guerre. Ils constituaient une exception dans la région. Sur les quelque 8.800 soldats des Cantons de l’Est, 3.200 hommes avaient été tués ou portés disparus pendant la guerre, au front ou en captivité. De nombreux civils avaient été blessés ou tués. De nombreux enfants ont grandi sans leur père après la guerre.

Nous ne savons pas ce que les hommes, les femmes et les enfants sur cette photo pensaient de la guerre et de la paix au moment de la prise de vue. Ce que l’on sait, c’est que le premier fils, Franz, avait déjà servi pendant la Première Guerre mondiale. Il était pacifiste, probablement à cause des expériences brutales qu’il avait vécues.

Aujourd’hui, de nombreux hommes d’État de grandes nations présentent à nouveau la guerre comme un outil politique tout à fait ordinaire. L’équilibre des puissances de l’époque de la guerre froide est clairement rompu depuis les années 1990 au moins. De nombreux conflits régionaux se déroulent de manière extrêmement brutale (comme par exemple en Syrie).

Les expériences de la guerre sont aujourd’hui extrêmement variées : les Russes font remarquer que leur pays a presque toujours été en guerre au cours des cinq dernières décennies. Ils ont notamment combattu en Afghanistan (avec 15 000 soldats russes tués), en Tchétchénie, en Crimée, en Ukraine et en Syrie. L’armée américaine est également intervenue quasiment sans interruption dans le monde entier au cours d’innombrables conflits, comme en Irak (4.411 soldats tués) ou en Afghanistan (2 346 soldats tués).

En Europe, en revanche, les guerres n’ont été que sporadiques depuis plus de 70 ans. Elles ont fait du sud-est de l’Europe une partie disloquée du « meilleur des mondes », avec des dizaines de milliers de morts. Parallèlement, les États européens continuent, eux aussi, de porter la guerre dans le monde. Au cours des dix dernières années, 122 soldats ont été tués dans l’armée allemande, et depuis 1945, 252 soldats belges ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions. Avons-nous encore le sentiment, en Europe occidentale, que la paix ne va pas de soi, mais qu’il s’agit d’un travail politique difficile et quotidien auquel chacun devrait contribuer ?

Carlo Lejeune
ZVS, 2017/06, p. 140-141.

NB: Cet article a été rédigé plusieurs années avant que le gouvernement russe ne décide d’escalader sa guerre dans l’est de l’Ukraine en une guerre totale contre toute l’Ukraine.

Conseil de lecture :

Philipp Beck, Bernhard Liemann, Peter M. Quadflieg, René Rohrkamp, „Vom europäischen Krieg zum Weltkrieg. Militär und Kriegserfahrung während 130 Jahren“, dans Carlo Lejeune (ed.), Grenzerfahrungen. Eine Geschichte der Deutschsprachigen Gemeinschaft Belgiens, vol. 3: Code civil, beschleunigte Moderne und Dynamiken des Beharrens (1794-1919), Eupen 2016, p. 50-74.