Qu’est-ce qui est représenté ? Le côté droit de l’image représente l’Allemagne. À l’horizon, les cheminées d’usines dégagent de la fumée. Au premier plan, on voit des ouvriers. Ils sont musclés et débordent de force. Une croix gammée représente l’Allemagne et l’organisation économique du national-socialisme. Sur le côté gauche, le lion brabançon désigne l’État belge. Accoudés à la barrière frontalière entre les deux pays, les ouvriers n’ont visiblement rien à faire. Leur posture est courbée et ils ont l’air abattu. En arrière-plan, on voit une usine belge. Ses cheminées sont sans fumée. À côté de l’image, nous lisons la légende : « En Belgique : Chômage ! En Allemagne, manque d’ouvriers » !
Quel était l’objectif du caricaturiste ? Il ne fait aucun doute qu’elle provenait d’un partisan du Heimattreue Front. Le Heimattreue Front était un parti politique d’Eupen-Malmedy-Saint-Vith qui réclamait le rattachement de la région à l’Allemagne. Pour rappel, suite au rattachement des arrondissements prussiens d’Eupen et de Malmedy (créés en 1815) à la Belgique en 1920, un mouvement révisionniste des frontières s’était progressivement développé dans la région.
Après le début de la grande crise économique en 1931, la situation économique d’Eupen-Malmedy-Saint-Vith joua un rôle de plus en plus important dans l’argumentation des révisionnistes. La population frontalière a pu observer une reprise économique rapide de l’Allemagne après l’arrivée au pouvoir des nationaux-socialistes. C’est en conséquence sur cette ascension économique de l’Allemagne que la caricature veut attirer l’attention : « Regardez, alors que nous allons mal en Belgique en ce moment, l’économie se développe magnifiquement en Allemagne » ! En effet, la situation économique de la Belgique n’était pas brillante dans les années 1930. Ce n’est qu’à la fin de la décennie, après des hausses d’impôts, des impôts d’urgence, des réductions de salaires et des dévaluations monétaires, que l’on commençait à entrevoir une amélioration.
Toutefois, la caricature nous cache beaucoup de choses : dans les années 1930, l’économie allemande fonctionnait ‘à crédit’. L’État investissait des sommes faramineuses dans des mesures de création d’emplois, notamment dans l’économie de guerre ou dans des projets tels que des autoroutes encore inutiles. Seule une guerre pouvait maintenir cette croissance économique à long terme. Ainsi, l’historien Götz Aly écrit dans son livre Hitlers Volksstaat (2013) : « Dans leur propagande, les dirigeants nazis se vantaient de poser les fondations du Reich millénaire, dans la vie quotidienne, ils ne savaient pas comment régler leurs comptes le lendemain ». C’est le potentiel séducteur des régimes fascistes qui nous est montré par cette caricature. Car les caricatures servent aussi à falsifier des réalités.