En 1890, le curé de Kalterherberg Gerhard Joseph Arnoldy (1834-1914) y fit ériger la majestueuse croix de six mètres de haut en mémoire de celui que l’on appelait l’apôtre des Fagnes, Stefan Horrichem (1607-1686). Pendant la guerre de Trente Ans, au XVIIe siècle, celui-ci avait été le prieur de l’ancien monastère des Prémontrés de Reichenstein, près de Montjoie, et pour la population, complètement appauvrie par la guerre, un bienfaiteur. En 1894, les paroissiens de Kalterherberg y ont aménagé une grotte mariale à l’occasion du 25ᵉ anniversaire de sacerdoce de leur curé.
Aujourd’hui, ce lieu de pèlerinage, fondé il y a 125 ans par la paroisse de Kalterherberg, se trouve en territoire belge. Jusqu’en 1920, Richelsley faisait partie de la ville de Montjoie. Cette partie du territoire allemand est devenue belge en même temps que le tronçon de la Vennbahn entre Kalterherberg et Petersgenfeld (Raeren), tandis que les villages situés entre la voie ferrée et la nouvelle frontière sont restés allemands (et constituent des enclaves).
Il aurait été logique que le terrain forestier sur lequel se trouve la croix des Fagnes soit intégré au territoire de la commune de Bütgenbach (dont les villages de Leykaul et Küchelscheid étaient proches). Mais il n’en fut rien : le général Baltia, Haut Commissaire du gouvernement belge pour les Cantons de l’Est entre 1920 et 1925, décida de créer une nouvelle commune : Robertville, qui fut détachée de Waimes avec Ovifat. Cette nouvelle commune reçut Sourbrodt et donc la région entre le Schwarzbach et la Hill et la partie du territoire cédée par Montjoie. En compensation, Bütgenbach reçut un terrain boisé.
Comment expliquer cette situation ?
La seule hypothèse, pour laquelle il existe plusieurs indices, est la suivante : La Première Guerre mondiale était pour les Belges la « Grande Guerre », au cours de laquelle le pays avait particulièrement souffert. L’élite francophone de l’État belge, largement antigermanique de ce fait, voulait absolument éviter que la nouvelle frontière orientale soit exclusivement occupée par des communes germanophones.
C’est sans doute pour cette raison que ces zones fagnardes ont été rattachées à la nouvelle commune francophone de Robertville, qui a été absorbée par la commune de Waimes à partir du 1er janvier 1977. Cette commune francophone est donc la seule à avoir une frontière de 8 km avec l’Allemagne (Monschau, Städteregion Aachen). Et cette bande territoriale divise en deux le territoire de la Communauté germanophone par une bande forestière de trois à quatre km de large.
Pour moi, cette croix et son emplacement ont aujourd’hui une grande force symbolique unificatrice. Elle symbolise la détresse et la souffrance de la population frontalière au cours des siècles passés, son enracinement catholique ainsi que les guerres mondiales qui ont sans cesse déplacé arbitrairement les frontières dans cette région. Mais c’est aussi pour moi un signe d’espoir que les personnes vivant autour de cette croix, au-delà des frontières linguistiques et nationales, franchissent toujours ces anciennes frontières dans un esprit d’ouverture et se rapprochent les unes des autres.
Stany Noël
Walk